Danielle Tchana, le combat pour l’égalité des chances
En ce début d’après-midi à Amiens, assise à son bureau, la tête posée sur ses bras croisés, Daniella Tchana termine sa sieste. « Quinze minutes, tous les jours, pour recharger les batteries », lance celle qui est aujourd’hui à la tête d’une start-up pour l’égalité des chances dans le milieu scolaire, de la French Tech Picardie, d’une association pour les femmes dans les sciences, et maman d’un bébé de 20 mois. Après quelques minutes un peu engourdie par le sommeil, elle redevient une tornade. « J’ai toujours été très énergique, voire turbulente, mes parents ont eu du boulot ! »
Née à Yaoundé en 1989, aînée d’une fratrie de six, il fallait la canaliser. Pour cela, ses parents lui trouvent des occupations. « Pas de sport, car ce n’est pas dans la culture africaine, mais je faisais la cuisine, il y avait toujours du monde chez nous, j’aidais également mon père à faire des travaux, du ciment, du carrelage. » De la couture aussi, où, très jeune, elle crée des vêtements, du dépannage des téléviseurs cathodiques des voisins, de la dactylo. « Je recopiais des livres entiers sur la machine à écrire, un foulard sur les mains, à la vitesse de l’éclair. » Ces expériences variées ont nourri son goût du défi très tôt, et sa soif d’apprendre. À l’école, en revanche, il lui faut une carotte. Rester assise des heures à écouter un professeur « n’était pas adapté pour moi, j’ai été plusieurs fois en décrochage ». Pour ramener une bonne note, ses parents lui promettaient toujours une récompense, pour l’encourager. « J’ai très vite été douée dans les sciences, car il n’y a pas d’ambiguïté, tu as bon ou tu as faux, c’est blanc ou noir ».
« Être Noir en France, c’est compliqué »
À 16 ans, elle passe un bac scientifique à Yaoundé, puis décroche une bourse d’excellence à Orléans, en France, et travaille notamment sur le photovoltaïsme au CNRS, puis se lance dans une thèse de trois ans à Troyes sur la mécanique des prothèses de hanches. « Mon oncle avait de l’arthrose, ça me parlait, il me faut toujours du concret dans ce que je fais. » À 23 ans, elle commence à enseigner, « dans le monde de la recherche, je les appelle les intellos. J’ai dû respecter les codes pour y entrer ». Déjà, elle constate les inégalités dans le système éducatif français, l’accès à une élite aux grandes écoles d’ingénieurs. Puis, elle se sent à l’étroit, « je voulais découvrir d’autres mondes, la finance, l’entreprise », et elle intègre une école de commerce parisienne. « J’ai réalisé que des gens comme moi, il y en avait très peu. » Les personnes qu’elle côtoie l’assimilent à une fille des quartiers, « avec ma couleur de peau ». Parce qu’elle est femme, Noire, immigrée, les stéréotypes fusent, « parfois quand les gens m’appréciaient, ils me disaient que c’était rare pour une fille des quartiers d’être comme ça ».
Aujourd’hui, elle comprend pourquoi son père a souhaité qu’elle ait une base de vie en Afrique, « car là-bas, je n’ai jamais eu à justifier de qui j’étais ». Désormais, elle ne veut plus subir, « j’ai fait mes preuves intellectuellement dans la société française, je suis légitime, être Noire en France, c’est compliqué. Maintenant, je dénonce et j’apporte des solutions ».
Braquer le système
Arrivée à Amiens, car lassée de la vie parisienne, Danielle Tchana monte en 2017 sa start-up BeSmart-Edu. C’est une prépa scientifique en ligne, du sur-mesure adapté à chaque profil, pour prendre confiance et préparer les concours des grandes écoles d’ingénieurs. « Je voulais braquer le système, créer une brèche pour les jeunes femmes et les jeunes issus des quartiers notamment. » Et pour rendre visibles les femmes dans le milieu scientifique, elle crée, en parallèle, l’association Stem 4 all, Stem pour « Sciences, technologie, ingénierie et mathématiques ». Et comme il faut une carotte, comme pour elle, l’entrepreneuse a lancé un championnat féminin de mathématiques, 100% à distance. « Mille six cents filles de terminales y participent, en France et dans les Outre-mer ». Elles travaillent en groupe, y apprennent la sororité, l’entraide. Son association va aussi dans les quartiers « pour évangéliser les parents et leur montrer que leurs enfants sont capables et leur faire connaître la diversité des métiers dans la science et la tech ».
Dans cette vie bien remplie, elle trouve le temps de cuisiner pour ses amis, « il y a toujours quelque chose dans le frigo, même quand ils passent à l’improviste ». Le reste de son temps est consacré à son garçon de 20 mois. « Je l’ai allaité jusqu’à 13 mois, avec en parallèle ma carrière d’entrepreneuse. Je montre autour de moi que c’est possible ! » Il est à la crèche trois jours par semaine, le reste du temps, elle s’en occupe avec son mari. « Je télétravaille avec lui, il est sur mes genoux quand je fais des visios, je gère ! »
Avec RFI