De cuisinier de Poutine à patron impitoyable de Wagner: Retour sur la vie de Prigojine!

“Leur contrat est terminé, ils rentreront chez eux la semaine prochaine. Bonne année, les garçons!” Il y a quelques jours, Evgueni Prigojine a été filmé en train de visiter une cave transformée en morgue près de Bakhmout. Il a alors présenté ses vœux pour la bonne année, entouré de piles de cadavres, impassible. Mais qui est le chef impitoyable du groupe de mercenaires russes Wagner? Il était, il y a quelques années, le cuisiner du président Vladimir Poutine, et voulait initialement devenir champion de ski. Portrait de l’un des hommes les plus puissants de la Russie.
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Lorsque vous êtes à Saint-Pétersbourg, allez faire un petit tour sur le quai qui se situe au palais Menchikov. Vous y trouverez un bateau, abritant le restaurant ‘New Island’. Selon TripAdvisor, il est encore ouvert. Le dernier avis en date remonte à 2018. “Si vous voulez manger là où ont diné Jacques Chirac, George Bush et Vladimir Poutine, ne cherchez pas plus loin”, peut-on lire sur le site. “Le menu et la qualité des plats vont ravir les palais des gourmets, et la vue est magnifique. Le seul point négatif: les prix élevés.”

Evgueni Prigojine, cet homme au crâne rasé âgé de 61 ans, a ouvert ce restaurant en 1997. Il voulait que les personnes aisées de sa ville natale puissent gouter à de nouvelles saveurs, “autres que des côtelettes et de la vodka”, a-t-il confié au journal local ‘Gorod 812′. Le restaurant flottant est rapidement devenu l’endroit incontournable de la région, et, lors de l’été 2001, Vladimir Poutine est même venu dîner avec l’ancien président français, Jacques Chirac. “Le fait que j’ai construit ce business à partir de rien l’impressionnait.”

Case prison

“À partir de rien” est à vrai dire un euphémisme. En 1977, il a obtenu son diplôme auprès d’une école axée sur le sport. Il voulait se faire un nom en tant que skieur professionnel. Néanmoins, cela ne figurait pas dans les cartes pour Evgueni Prigojine. En effet, en 1981, sa carrière de ski s’est effondrée après avoir été condamné à douze ans de prison pour vol, fraude, et prostitution impliquant des mineurs.

 

Il a passé neuf ans en prison, avant d’être libéré en 1990. Il a par la suite monté une affaire à succès de vente de hot dogs, puis lancé plusieurs activités dans la restauration, dont ‘New Island’, ou encore sa société ‘Concord’. Grâce à ses bonnes relations avec Poutine, les contrats publics se sont enchaînés les uns après les autres. En 2012, il signera un contrat de 1,2 milliard d’euros pour nourrir l’armée russe.

Vie de luxe

Assez d’argent que pour vivre dans l’opulence, c’est ce qu’affirmait la ‘Fondation anti-corruption’ du dissident Alexeï Navalny, aujourd’hui enfermé. Prigojine a toujours tenté de rester discret sur le sujet. Néanmoins, les comptes Instagram de ses enfants, actuellement verrouillés, illustraient le luxe dans lequel ils vivaient. Navalny a publié des images de son fils Pavel, paradant nu sur le yacht familial de 37,4 mètres de long, ‘St Vitamin’, ainsi que de sa fille Polina, montrant la vue depuis le balcon de la villa construite sur une zone naturelle protégée longeant la mer Noire.

 

Une photo de la voiture préférée de Prigojine a également été publiée sur le compte Instagram de Pavel: il s’agit d’une Lincoln Continental bleue des années septante. Mais toute la fortune de Prigojine n’a pas été dépensée dans des biens de luxe. Selon le magazine russe ‘Fontanka’, une partie de l’argent gagné avec le contrat de l’armée a été utilisée pour fonder l’‘Internet Research Agency’. C’est la tristement célèbre “armée des trolls” qui propage propagande et fake news sur le net. C’est précisément cette agence qui a réussi à influencer les électeurs américains lors des présidentielles de 2016. Un scrutin qui a finalement vu la victoire d’un certain Donald Trump.

 

Dix millions de dollars

C’est pour cette activité que les États-Unis ont annoncé en juillet 2022 offrir une récompense de 10 millions de dollars (9,8 millions d’euros) pour toute information sur la machine de propagande bien huilée de Prigojine. En offrant jusqu’à 10 millions de dollars de récompense, ces informations valent plus que toutes celles à propos des chefs d’Al-Qaida – à l’exception du chef suprême Al-Zawahiri – réunis. L’appel a également été publié en russe, ciblant principalement “ceux travaillant pour lui, et voulant gagner quelques centimes”. Depuis la guerre en Ukraine, non seulement Evgueni Prigojine, mais aussi sa mère, figurent sur la liste des sanctions européennes.

 

 

 

 

En décembre 2021, l’Union européenne a également sanctionné le groupe paramilitaire russe Wagner. C’est une société de sécurité privée qui emploie des mercenaires pour protéger les intérêts de la Russie. Evguéni Prigojine a reconnu avoir fondé le groupe en 2014, chose qu’il a longtemps démentie. Des images tournées dans une prison russe ont montré Prigojine tenté de recruter des détenus pour combattre en Ukraine. “Rejoignez Wagner”, a-t-il alors lancé aux prisonniers. “Nous allons faire de vous des héros. Vous voulez savoir si quelqu’un est en mesure de vous sortir vivants de prison? Oui, il y en a deux: Allah, et Dieu. Moi, je peux vous emmener vivants sur le front, mais non, je ne vous ramènerai pas tous en vie.”

Dans une publication sur les réseaux sociaux de son entreprise Concord, l’intéressé a par la suite dit avoir fondé le groupe afin d’envoyer des combattants compétents au Donbass ukrainien en 2014. “C’est à ce moment-là, le 1er mai 2014 qu’est né un groupe de patriotes qui a pris le nom de Groupe tactique de bataillon Wagner”, a-t-il dit dans ce communiqué. “Et maintenant un aveu (…) ces gars, des héros, ont défendu le peuple syrien, d’autres peuples de pays arabes, les démunis africains et latino-américains, ils sont devenus un pilier de notre patrie”, a-t-il encore affirmé.

 

 

Dans la nuit du  au , prétextant un manque de soutien de la part du pouvoir russe en Ukraine, Prigojine déplace les troupes de Wagner vers Moscou et appelle les Russes à les rejoindre, ce qui peut être interprété contre une tentative de « putsch ». Il entame une rébellion armée contre le gouvernement et les forces armées restées fidèles au ministère de la Défense. Alors que le FSB ouvre une enquête pénale contre lui pour appel à la mutinerie armée, Vladmir Poutine dénonce une « trahison interne ». À la suite de pourparlers entre Prigojine et le président biélorusse, Alexandre Loukachenko, les accusations sont abandonnées et Wagner accepte d’arrêter l’avancée des combattants de son groupe à travers la Russie. Prigojine confirme ensuite que ses hommes rentrent dans leurs camps, afin d’« éviter un bain de sang ». Selon le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, Prigojine sera envoyé en Biélorussie. Dans le cadre de l’accord, comme précisé par Vladimir Poutine dans une intervention télévisée, les membres du Groupe Wagner suivant leurs situations et leurs volontés, pourront intégrer l’armée régulière, « rentrer dans leurs familles et chez leurs proches » ou « partir pour la Biélorussie », où Evgueni Prigojine doit s’exiler.

D’après le ministère russe de la Défense cité par l’AFP, des « préparatifs » sont en cours pour transférer les équipements militaires « lourds » du groupe Wagner vers l’armée, après l’échec de la rébellion.

Selon Pierre Haski de France Inter, Evgueni Prigojine est l’homme des basses œuvres, chef d’un groupe de mercenaires, patron de « fermes à trolls » à l’avant-garde de la désinformation. Son envergure à l’aide du groupe Wagner a été assurée par Vladimir Poutine. Il a pris de l’importance en offrant à la Russie sa seule victoire de l’année 2023, à Bakhmout. En voulant devenir à son tour maître du jeu, il aurait « transgressé la règle d’or de la relation avec le chef ».

Le , Prigojine réapparaît dans une vidéo pour la première fois depuis la mutinerie de juin. Il affirme se trouver en Afrique, afin de combattre al-Qaïda et l’État islamique.

 

 

Evgueni Prigojine est mort à l’âge de 62 ans, le 23 août 2023, dans le crash d’un avion d’affaires allant de Moscou à Saint-Pétersbourg et transportant neuf autres personnes, dont le numéro deux du groupe Wagner, Dmitri Outkine. Ils se trouvaient à bord d’un Embraer 600 qui survolait l’oblast de Tver. Dans la soirée, l’agence fédérale du transport aérien russe confirme la mort de tous les occupants de l’avion, les noms de Prigojine et Outkine figurant sur la liste. Le même jour, quelques heures avant le crash, le général Sergueï Sourovikine, proche du groupe Wagner, avait été officiellement démis de ses fonctions militaires. Dans la soirée le même jour, le groupe Wagner confirme la mort de son chef. Le lendemain, Vladimir Poutine présente ses condoléances à la famille Prigojine

 

 

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