Des champions sous l’eau: comment les Russes ont pu saboter Nord Stream

Si leurs blindés et chars vieillissants laissent quelque peu à désirer, la flotte sous-marine russe est au contraire l’une des plus puissantes et modernes au monde. La Russie se situe entre la deuxième et la quatrième place en termes de nombre de sous-marins par pays, derrière la Chine et, dans certains classements, également derrière les États-Unis. Mais il n’y a pas que la quantité qui compte. Ces derniers mois, par exemple, la dernière acquisition de l’armée russe, le sous-marin nucléaire Belgorod, a fait couler beaucoup d’encre. Ce navire de 184 mètres de long a été mis en service en juillet et est réputé sans équivalent. Un véritable mastodonte sous-marin.
Le Belgorod transporte six Poseidon: des engins sans équipage qui peuvent opérer à une profondeur de 1.000 mètres, ont une portée dix fois supérieure et sont capables de tirer des ogives nucléaires. De véritables “drones apocalyptiques”, selon la presse britannique, capables de générer un “tsunami nucléaire”. Toutefois, le Belgorod ne peut vraisemblablement être lié au sabotage des gazoducs près de l’île danoise de Bornholm. “Il y a de nombreuses raisons d’exclure cette hypothèse”, affirme H.I. Sutton, spécialiste de renommée mondiale en matière de guerre sous-marine. Selon l’expert, le Belgorod se trouverait actuellement dans la mer Blanche, de l’autre côté de la Scandinavie.
Hommes-grenouilles avec scooters sous-marins
Toujours selon H.I. Sutton, il n’est pour autant pas nécessaire de disposer d’une grande capacité de plongée pour poser des charges explosives sur les pipelines de Nord Stream. “Les fuites se situent là où la mer Baltique a une profondeur d’environ 70 mètres”, précise-t-il. “Ce sabotage peut donc être l’œuvre de plongeurs.” La marine russe dispose de 650 à 780 hommes-grenouilles – des soldats pouvant être appelés à intervenir pour la reconnaissance sous-marine, le déminage et le sabotage.
En outre, le service de renseignement militaire de la Russie (GRU) dispose également de sa propre équipe de “forces spéciales maritimes”, divisée en quatre unités de 120 à 200 plongeurs chacune. Ces derniers disposent d’outils tels que le Protei-5 – une sorte de scooter sous-marin qui augmente leur vitesse – et de “recycleurs” avancés, des appareils qui leur fournissent de l’oxygène en recyclant l’air expiré.
S’il y avait de bonnes raisons de ne pas envoyer de plongeurs, les Russes pourraient également déployer des mini-submersibles. Le “Konsul”, par exemple, est un sous-marin de 8,4 mètres de long pouvant accueillir deux personnes et pouvant descendre à six mille mètres de profondeur. Les Russes en ont deux, embarqués sur les navires “Yantar” et “Yevgeni Gorigledzhan”. Ces bâtiments, soupçonnés d’être des navires espions, font partie du GUGI, le service russe de recherche en eaux profondes. Officiellement, il s’agit d’une institution scientifique, mais elle est souvent qualifiée de “deuxième marine”, car elle aurait également une vocation militaire. Par exemple, les sous-marins Konsul pourraient être utilisés pour saboter des câbles internet sous-marins ou les équiper de matériel d’espionnage.
Câbles sous-marins
En 2015, le Yantar a été repéré au large des côtes de la baie de Guantanamo, à Cuba, éveillant les soupçons de Washington. Le “Yevgeni Gorigledzhan” est quant à lui le résultat d’une transformation complète achevée au début de cette année. Le navire est né des restes rouillés d’un remorqueur de 39 ans de fabrication polonaise. Le fait qu’il double la capacité de la Russie à manipuler les câbles sous-marins d’un seul coup peut être inquiétant. Pour son voyage inaugural, le navire est parti de Kaliningrad, l’exclave russe sur la mer Baltique. Il pourrait donc être impliqué dans le sabotage des gazoducs.
Selon CNN, des navires russes ont été repérés dans la zone peu avant la découverte des fuites. Mais les noms des navires n’ont pas été mentionnés par la chaîne américaine. Par ailleurs, l’expert H.I. Sutton évoque une autre hypothèse que celle impliquant des hommes-grenouilles ou des mini sous-marins: les sous-marins sans pilote, une autre arme remarquable de la flotte maritime russe. Le “Vityaz”, commandé en 2020, fut ainsi le premier du genre à descendre dans la fosse des Mariannes, le point le plus profond du monde. À 10.028 mètres de profondeur, il transmettait encore des informations via un système de communication audiovisuel avancé.
Mission top secrète
À l’instar du Konsul, Le Vityaz doit également être embarqué sur un navire. Il l’est généralement sur le brise-glace converti “Foti Krylov”. Le bâtiment se trouvait encore au mouillage à Vladivostok, à l’extrême est de la Russie, à la fin du mois d’août, ce qui rend impossible sa participation à une opération en mer Baltique. Mais un second navire, le “Nikolay Chiker”, a été fréquemment repéré en Scandinavie ces dernières années et n’a pas révélé de détails sur sa localisation depuis plus d’un an – comme s’il était en mission top secrète.